Quiconque vit ou a vécu en couple sait que l’Autre est une énigme. Je le sais aussi. Oui, oui, oui, une part de l’Autre nous échappe, résolument, car l’Autre est un être mystérieux qui abrite ses propres secrets, et une âme ténébreuse et fragile, l’Autre recèle par-devers lui sa part d’enfance, ses blessures secrètes, tente de réprimer ses troubles émotions et ses obscurs sentiments.
Théo est en classe de cinquième. Très proche de Mathis, il semble souffrir pourtant de solitude et de mal-être. A la maison, il vit une semaine avec sa mère et une semaine avec son père et les deux se font la guerre. Au collège, Hélène Destrée, sa professeure de sciences s’inquiète pour sa santé tandis que Cécile Guillaume, la maman de Mathis, cherche à tout prix à éloigner ce garçon étrange de son fils.
Delphine de Vigan focalise chaque court chapitre sur un des quatre personnages : Hélène, Cécile, Théo et Mathis. Pourtant seules les deux femmes prennent la parole à la première personne du singulier. Les parties concernant les deux collégiens donnent des pistes d’analyse sans clairement livrer au lecteur l’intériorité des personnages. Quant aux hommes, le père de Théo et William, le mari de Cécile, ils sont inaccessibles et pire, considérés comme des objets d’interrogation de la part des femmes de leur entourage. Pour Cécile, il y a deux William, son mari bien élevé et Wilmor, son double virtuel qui déverse sa haine sur les réseaux sociaux. Quant à son ex-mari, la maman de Théo ne juge même plus utile de mentionner son existence. Les rapports semblent inversés entre père et fils et Théo couvre, sous le sceau de la honte et du secret, ce parent déchu. L’auteur fait émerger la part sombre de chacun de ses personnages, leur mal-être et leurs douleurs profondes. Personne ne semble se comprendre, même les couples mariés depuis longtemps, et chacun demeure seul, inaccessible et incompris. Les couples se délitent et les collègues se désolidarisent les uns des autres. Chacun projette sur les autres les souffrances qu’il a vécues et tous demeurent enfermés dans leur malheur et leur solitude. L’ayant été elle-même dans sa jeunesse, Hélène est persuadée que Théo souffre de maltraitance et cherche les marques de coups. Eliane Berthelot, la professeure d’EPS humilie ses élèves en cours. Cécile parle toute seule. Frédéric accompagne douloureusement la maladie de sa femme. Mathis est influençable mais loyal. Et enfin Théo, ce mystère qui inquiète tant les adultes de son entourage, cherche à tester les limites de son corps et de son esprit.
Delphine de Vigan propose un roman simple et douloureux sur les projections et les souffrances intimes, les désastres du manque d’amour, les problèmes qu’on ne résout jamais et surtout les difficultés relationnelles qui font que, sans communication, nous restons des énigmes les uns pour les autres.
Delphine de Vigan. Les loyautés. 2018
Une réflexion sur « Les loyautés »