La France de 1800 a la gueule de bois. Les idéaux ont pris l’eau de toutes parts. Le cœur n’y est plus. Il y a si longtemps qu’on n’a pas rêvé… Alors le petit caporal corse devenu général, puis consul, puis Premier Consul, pourquoi pas ?
Le soir de Noël 1800, Napoléon Bonaparte, accompagné de sa femme Joséphine, de son jeune frère Louis et de sa belle-fille Hortense, se rend à l’opéra. Retardés par Joséphine qui cherchait ses gants, ils traversent la rue Saint-Nicaise à vingt heures au moment où une détonation retentit. Le premier consul et sa famille viennent d’échapper à un attentat mené par Joseph de Limoëlan, un jeune royaliste breton, partisan de la chouannerie.
Après de longues recherches, Gwenaële Robert raconte les temps qui ont suivi cet attentat raté et les évènements qu’il a directement ou indirectement provoqués. On apprend à connaître Joseph de Limoëlan, cet aristocrate banal qui a vu son monde s’effondrer et a voulu retrouver son avenir mais aussi Fouché, ce premier ministre intraitable chargé de la répression des royalistes et des jacobins. Gwenaële Robert aime les nuances et les contradictions : le cœur de Limoëlan a frémi la veille de l’attentat en effleurant la nuque de Laure de Saint-Chef ; Fouché, bon mari et excellent père, s’inquiète de la fièvre de la petite dernière. Seul Napoléon, même dans l’intimité, apparaît égal à lui-même : fier, ambitieux, calculateur, avide de pouvoir jusqu’à la déraison. Si ces trois personnages ont une importance historique indéniable, dans le roman, ils sont les égaux des petites gens qui ont subi les évènements des premières années du XIXe siècle. La voix des petits se mêle à celle des grands pour raconter Paris en 1800. Gwenaële Robert donne la parole à Basile Collin, médecin, Pierre Vigier, étuvier, Justine, prostituée, François Topino-Lebrun, peintre… Elle fait de Marianne Peusol, jeune marchande de quatorze ans, une martyre et un symbole, celui de l’enfance brisée, victime des guerres des adultes. L’héroïne du roman, c’est elle, exterminée en plein rêve, l’obsession de Limoëlan et l’origine de sa rédemption.

Chez Gwenaële Robert, il n’y a pas de petites histoires dans la grande Histoire (selon l’expression communément employée) mais un ensemble d’histoires personnelles qui forment la grande Histoire. Bien sûr, les décisions de Napoléon ont plus de conséquences sur la marche du pays et l’avenir des citoyens que les rêves de Marianne Peusol mais chacun, à son échelle, participe de l’écriture de l’Histoire et de l’avancée du roman. Avec une délicatesse et un sens de la formule qui ne sont plus à prouver après Tu seras ma beauté et Le dernier bain, Gwenaële Robert fait l’éloge du commun et sait donner de la noblesse aux petits riens de l’existence : la contemplation de la tête de porc chez Pierre Palloy qui a l’habitude de fêter la mort du dernier monarque chaque 21 janvier autour d’un bon banquet ; la déception du pâtissier François Leclerc qui ne sait plus quoi faire de ses patriotes, ces choux tricolores qu’il vendait par centaines…
Il est comme un homme à qui on aurait montré un trésor avant d’en refermer brusquement le coffre et de jeter la clef à la mer. Sauf que ses mains sont restées agrippées à l’intérieur et que le couvercle lui scie les poignets depuis plus de dix ans.
Gwenaële Robert nomme chacun de ses personnages, petits ou grands, et en leur donnant un nom, leur donne une existence, des pensées et des idéaux. Elle les raconte sans les juger, avec sympathie, qu’ils vendent leurs charmes, tiennent des établissements de bain, suivent les cours d’accouchement du soir, participent au macabre bal des victimes, vendent des légumes ou cherchent à marier leurs filles. Gwenaële Robert aime ses personnages qu’ils soient historiques ou fictifs et sait transmettre sa tendresse au lecteur grâce à la poésie de ses mots et la puissance de ses images.
Gwenaële Robert. Never Mind. 2020