En 1793, alors que madame Roland, femme de ministre et égérie du Parti Girondin, s’apprête à monter sur l’échafaud, elle éprouve un singulier bonheur oppressée et confinée dans les prisons de l’Abbaye et de Sainte-Pélagie. Malgré la fatalité qui pèse sur sa destinée et l’agitation extérieure, elle exprime, à travers ses écrits, un bien curieux bien-être nouvellement atteint grâce à la libération intérieure. Il est paradoxal que la liberté se déploie dans les fers par un renversement singulier comme si la liberté d’aller et venir faisait obstacle à la liberté intérieure qui ne trouve possibilité qu’à l’instant où le corps est emmuré. La force puisée en elle-même donne naissance à une nouvelle femme aux diverses facettes : une femme politique dorénavant reconnue comme telle qui clame son engagement et crie à l’injustice ; une femme amoureuse qui s’autorise enfin à exprimer sa passion ; un philosophe qui s’adonne à ses activités favorites sans se préoccuper des contraintes extérieures : la lecture, l’étude, la réflexion et qui se transforme en écrivain prolifique.
La prison permet à madame Roland de satisfaire une vocation. Les murs de la prison font résonner une voix politique rendue tout à coup intéressante mais, essoufflée, elle laisse sa place au repli sur soi. L’enfermement est l’occasion rêvée pour mettre à profit les leçons des maîtres à penser. Guidée par Plutarque, la foi en une Gironde, une république stable et une postérité meilleure est affermie. Les mémoires s’inscrivent dans la lignée des Confessions de Rousseau et les lettres à Buzot dans celle de sa Nouvelle Héloïse : sage, madame Roland satisfait un besoin de justification publique ; sentimentale, romanesque et romantique, elle prétexte Buzot pour se perdre avec délectation dans la Passion, son imaginaire et son expression. Les maîtres incontestables de l’ascèse à laquelle s’adonne la détenue demeurent les sages stoïciens. Au cours de son existence, elle s’était forgé une disposition au bonheur qui la rendrait capable de supporter n’importe quelle situation. La situation extrême qu’est la prison permet de mettre en pratique cette force morale. La claustration est l’occasion d’une connaissance véritable de son être intime. En suivant sa nature avec sa raison, madame Roland s’engage dans la voie de la liberté stoïcienne qui conduit à l’ataraxie. On peut toutefois se demander si l’absence de troubles et la tranquillité de l’âme sont synonymes de bonheur. C’est par l’intermédiaire sublimant de l’écriture, autobiographique en particulier, que la prisonnière transforme un état neutre en bonheur.
Manon Roland. Mémoires. 1793
Mémoires lus dans le cadre du Challenge Femmes de Lettres
Auteure du XVIIIe siècle
Le challenge est proposé par Les Livres de George d’après une idée de Céline du Blog Bleu. Il s’agit de lire des auteurs féminins (ou auteures) du XVIIe au XXIe siècle et de partager nos billets. Modalités du challenge, participants et liens vers les lectures sur le blog de George.